Bilan stage Saint-Louis (auprès de migrants)

Bref rappel de la genèse du stage destiné au démarrage concret du partenariat DIADEM/TUAM

Nous avons eu la possibilité d’imaginer et réaliser sur un mois, un stage de nature psychologique avec comme objectif de rassembler quelques migrants de retour (forcés ou volontaires) et leur offrir une écoute attentive du récit de leur migration. Nous espérions également par ce biais, former avec leur accord, un groupe pouvant devenir une référence pour les migrants de leur communauté.

Et c’est le bilan de ce travail qui est présenté ci-dessous : éléments importants des récits des cinq migrants, tout en gardant l’anonymat, destiné à être lisible pour les migrants eux même. Il y a eu 4 séances de 4 heures avec migrants.

 

Récits des migrants : éléments essentiels

Motifs de départ

Ce sont les difficultés économiques qui seront mises au premier plan des motivations au départ. En effet le besoin de se sentir un homme (il n’y avait pas de femmes) à la hauteur des responsabilités familiales sont le plus souvent évoquées ; que ce soit comme père de famille ou comme ainé. Mais se rajoute à cela un espoir d’Europe rêvée, soutenu généralement par la famille et par un entourage qui éventuellement chez des plus jeunes ne parlent que de partir, se jugeant sans avenir dans le pays. Ils ne cherchent pas à imaginer ce qui peut les attendre pendant le voyage et à l’arrivée.

Il est intéressant de noter qu’au début de leur récit les problèmes d’argent sont majeurs et qu’à la fin des 4 séances ils sont plusieurs à dire qu’ils gagnaient pas mal auparavant et « savaient faire de l’argent ».

Peut-être peut-on mettre en avant, même s’il y a la recherche d’un mieux-être, la puissance de l’attrait pour une expédition des temps modernes pleine d’inconnu, d’espoir, de danger, de mise à l’épreuve de soi-même, de rencontre avec cet Occident chargé d'une histoire compliquée avec l'Afrique. On ne peut faire abstraction des liens complexes et ambigus qui continuent de traverser les rapports des deux continents. Chaque individu en est porteur le plus souvent à son insu.

Confrontations

Les confrontations vont en effet se produire à plusieurs niveaux : celui des codes moraux de la religion et à celui de la foi, autant qu’au droit des états (accueil et répression), et aux principes universels des droits de l’individu (en particulier celui du droit à la mobilité).

De cette expérience, il se trouve que les règles morales intégrées par chacun vont être rudement mises à l’épreuve de la réalité et des réactions nécessaires à la survie et à la protection élémentaire de soi-même.

Il est nécessaire à cet endroit d’évoquer la toute première difficulté à l’intérieur même du stage concernant l’annonce que la liberté de s’exprimer comportait celle de pouvoir parler sans honte d’éventuels dérapages par rapport à la morale convenue, que tous étaient protégés par l’absence préconisée de jugement de valeur- que ce n’était pas l’objet du stage de condamner mais de pouvoir parler. Sauf que cette injonction à la liberté était prononcée par une toubab ... Et ceci a fait l'objet d'une contestation unanime par les volontaires lors de la réunion de réflexion qui a suivi la séance Ces derniers ont en effet craint que les migrants s'en soient sentis blessés. Ce qui bien entendu n'était pas l'objectif. Nous avons essayé de reprendre cela, d'abord pour nous excuser de l’indélicatesse provoquée, puis pour savoir si la liberté de parole s'en est trouvée particulièrement limitée ? Apparemment non.

La rencontre avec « l’argent facile » (disent les migrants), les situations d’enfermement, les tentations de toute sorte : sexualité comprise, vont plonger la personne dans des contradictions plus ou moins éprouvantes pour l’attachement aux valeurs telles que la vérité et le mensonge (par ex les faux papiers ou fausses identités) les interdits de la sexualité hors mariage, de l’alcool, de la drogue et du trafic…

Soulignons encore l’immense désarroi pour certains, d’avoir survécu à des épreuves terribles lors de certains voyages, d’être recueillis, sauvés, soignés et … aussi vite enfermés, voire expulsés rapidement.

Souffrance et innocence bafouée. Ainsi, l’Europe des rêves est rencontrée.

Certains qui ont pu rester en Espagne, ont traversé le froid, la faim, la rue, l’humiliation, le racisme, l’exploitation, la trahison …. Mais aussi des moments plus calmes, sécurisés avec des bonnes rencontres, et là, ils ont pu réaliser leur premier objectif qui était d’aider les familles au pays.

Mais le second qui était la réussite professionnelle avec un retour triomphant est resté douloureusement en chemin. Ce qui n’a pas empêché des acquis sur ce plan qu’il ne faudra pas manquer de répertorier pour chacun.

Epreuves et ressources

Le choix de la clandestinité est une plongée dans l’inconnu avec une désorganisation des repères habituels, des relations d’autorité et de soumission, qui vont faire appel chez chacun à des ressources particulières pour trouver les moyens de survivre.

La référence religieuse et la foi ont été des recours puissants et essentiels pour tous .C’est en effet en faisant appel aux règles et pratiques religieuses pour les situations les plus graves (morts du voyage, crime, dénonciation, pardon…) que sont examinées, supportées et difficile d’en mesurer les conséquences. Cette référence persiste pour les situations moins graves que sont la confrontation à l’illégalité et aux interdits. De cette façon s’est renforcé le sentiment religieux d’être aidés, secourus puisque … vivants.

Peut-on dire que c’est dans l’acceptation intime des épreuves douloureuses et effrayantes – en particulier concernant la proximité avec la mort – le risque personnel et celle des compagnons de voyage qu’ont été approchées les forces profondes de chaque personne dans la mesure où ils ont survécu ? Ceci sans sous-estimer les fragilités, les moments de basculement et désespoir qui se traduisaient par des envies d’en finir.

Soin

Les traces insistantes de ces situations extrêmes peuvent apparaitre à travers des signes traumatiques tels que des rêves/cauchemars/images répétitives, chargées d’angoisse, très réalistes (« comme si on y était toujours ») difficilement contrôlables et mobilisant beaucoup d’énergie.

Recourir à une aide de nature psychologique - même si cela signifie revenir à des choses qu’on essaie sans succès d’oublier - peut alors s’avérer très utile pour tenter d’alléger le poids de ces manifestations dans la vie quotidienne pour soi et son entourage.

Il faut aussi tenir compte des effets d’accumulation sur le psychisme comme par exemple la proximité des cadavres, le grand affaiblissement du corps, la folie ambiante sur une pirogue, une arrivée où l’on est soigné et aussitôt emprisonné puis un retour au pays difficile à devoir affronter une incompréhension générale amplifiant le sentiment d’échec.

Il faut du temps et de l’aide pour transformer le malheur et l’insuccès en acquis de vie et de maturation intérieure. Une expérience dont on pourra parler sans honte à ses enfants, à sa famille, à ses amis, voire publiquement sera le signe de son intégration psychique et d’un certain dépassement. Les stratégies et forces intenses déployées lors de circonstances redoutables pourront être mobilisables dans la vie actuelle.

Nous voulons croire à cette ressource qui les a tous tenus en vie les rendant conscients d’eux même et de leurs capacités à se diriger sans trop de dérapages et de malgré tout se tenir bien debout.

Nous devons donc travailler à valoriser ces expériences de migrations pour avoir été tentées (portées par les communautés) quelle qu’en ait été l’issue. Et cela tant au niveau personnel qu’à celui de la société en général qui renvoie l’image de la honte à revenir les poches vides, balayant tout le reste.